Episiotomie, césarienne, allaitement : comment accouche-t-on en France en 2017 ?
Si les taux d’épisiotomies et de césariennes diminuent, les facteurs de risques chez les mères tels que l’obésité ou le tabagisme augmentent, d’après une étude de l’Inserm et de la Drees.
LE MONDE | 12.10.2017 à 14h09 • Mis à jour le 31.01.2018 à 13h43 |
Par Anne-Aël Durand et Laura Motet
C’est un branle-bas de combat qui se joue au quotidien dans les 517 maternités françaises : en 2016, plus de 2 150 enfants sont nés chaque jour en France. Sur ces 785 000 naissances, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ont analysé un échantillon représentatif de 14 142 accouchements. Le résultat : l’enquête nationale périnatale, publiée mercredi 11 octobre. L’occasion de faire le point, six ans après la dernière étude, sur les pratiques en cours dans les maternités.
Si la parole se libère particulièrement depuis plusieurs années, l’épisiotomie, cette incision du périnée censée prévenir une déchirure plus grave, est au cœur des réflexions depuis le début des années 2000, sous l’action conjointe de collectifs de parents comme le Ciane (Collectif interassociatif autour de la naissance), créé en 2003, mais aussi d’organisations professionnelles comme le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). En 2005, ce dernier estime qu’« il faut instituer une politique incitative pour faire baisser progressivement le taux moyen d’épisiotomies en France en dessous de 30 % », alors qu’il était « autour de 47 % en 2002-2003 ». Pour l’Inserm et la Drees, la prise de position a été assez efficace :
« Le taux d’épisiotomie continue à diminuer, après les recommandations du CNGOF en 2005 de ne pas faire d’épisiotomie systématique, en raison de l’absence de bénéfice dans la prévention des lésions sévères du périnée. »
Reste que la moyenne d’épisiotomies atteinte – autour de 20 % des accouchements en 2016 – cache encore d’importantes disparités : lors d’un premier accouchement, le taux d’épisiotomie grimpe jusqu’à 35 % contre près de 10 % pour les accouchements suivants. « Cet acte a très nettement diminué au cours du temps, puisqu’il était réalisé en 1998 dans 71,3 % des [accouchements des femmes n’ayant pas eu encore d’enfant] et 36,2 % des [accouchements des femmes ayant déjà eu des enfants] », précisent l’Inserm et la Drees.
Autre pratique décriée pour son usage jugé trop massif par les patientes et certains professionnels : l’injection d’oxytocine. Cette hormone de synthèse, sœur de l’ocytocine, permet d’accélérer les contractions, parfois ralenties par la péridurale, technique de soulagement de la douleur de plus en plus utilisée. « Lorsqu’on pose une anesthésie, on modifie les conditions de la naissance, les positions, expliquait Paul Cesbron, gynécologue et ancien chef de la maternité à l’hôpital de Creil (Oise), au Monde en août. Je n’y suis pas hostile, mais cela a été présenté comme une panacée. Or la péridurale médicalise par principe la grossesse. Elle entraîne une rupture quasi systématique des membranes (poche des eaux) et une pose de perfusion d’oxytocine. »
Seulement voilà, ces injections d’oxytocine ne sont pas sans conséquences. L’hormone de synthèse augmenterait les risques de saignement en fin d’accouchement (hémorragie du post-partum), selon une étude publiée par l’Inserm en 2012. « De manière intéressante, la sensibilisation des professionnels à l’utilisation anormalement élevée de l’oxytocine […] a conduit à une baisse de son utilisation, avant même les recommandations émises fin 2016 par le Collège national des sages-femmes et celui des gynécologues obstétriciens », se félicitent les commanditaires de l’enquête.
Le recours à l’épisiotomie et à l’oxytocine diminue
Stabilité du nombre de césariennes et des déclenchements
Le recours à la césarienne avait presque doublé en trente ans, passant de 10,9 % en 1981 à 19,6 % en 2010. Depuis 2010, l’usage de cette opération, visant à extraire le bébé par voie abdominale pour réduire les risques d’un accouchement classique par voie basse, s’est stabilisé. Il s’est même réduit pour les patientes ayant un antécédent de césarienne, « en cohérence avec les recommandations professionnelles de 2012 », explique l’enquête.
Reste qu’un quart des césariennes auraient pu être évitées, selon une autre étude de l’Inserm publiée en 2014.
Les taux de césarienne et de déclenchement se sont stabilisés, après une légère augmentation en 1981 et 2010
Le nombre de déclenchements a suivi la même tendance que celui des césariennes : après avoir doublé en trente ans, il s’est stabilisé entre 2010 et 2016. Il permet de provoquer le début du travail conduisant à l’accouchement, par des injections d’hormones ou des actions mécaniques sur le col de l’utérus. Certains accouchements sont déclenchés pour des raisons médicales, notamment lorsque le terme est dépassé, d’autres pour des questions de convenance.
« Sur l’ensemble des déclenchements, 14 % pouvaient être considérés comme “sans indication médicale”. Près de la moitié d’entre eux étaient réalisés à la demande des femmes. Particulièrement celles ayant déjà eu des enfants », précise Bénédicte Coulm, épidémiologiste à l’Inserm et coordinatrice de l’équipe de recherche :
« Ils étaient également plus fréquents dans les petites maternités comptant moins de 1 500 accouchements par an, toutes choses égales par ailleurs. Dans ces maternités, il n’y a pas toujours d’anesthésiste ou de pédiatre sur place. La programmation de déclenchements permettrait de réaliser l’accouchement à des moments où l’équipe est au complet, c’est-à-dire le plus souvent la journée, en minimisant les risques pour la mère et le nouveau-né. »
L’enquête de l’Inserm souligne d’ailleurs que les déclenchements sont loin d’être également répartis sur le territoire : ils sont proportionnellement plus nombreux dans la très peuplée région parisienne (25,6 % des femmes) que dans le reste de la métropole (22 %).
La Haute Autorité de santé recommande cependant d’informer les femmes qu’elles peuvent refuser certains déclenchements artificiels.
Prématurité, poids faible : certains indicateurs se sont dégradés
L’Inserm s’inquiète également de la hausse du taux de naissance d’enfants prématurés entre 1995 et 2016. « Ce résultat pose question, dans la mesure où d’autres pays réussissent à avoir des taux faibles et stables ou en baisse », lit-on dans le rapport, même si celui-ci souligne par ailleurs que ce taux n’a pas augmenté parmi les « naissances vivantes uniques ». 22,8 % des prématurés sont en effet des jumeaux. Car si 50 % des naissances prématurées sont spontanées, l’autre moitié correspond à des naissances provoquées par les médecins, en raison d’un risque pour le fœtus ou pour la mère, les grossesses avec des jumeaux étant davantage à risque.
Prématurité, poids faible : certains indicateurs de santé de l’enfant se sont dégradés
Taux concernant les naissances vivantes, données par des femmes majeures en France métropolitaine. Un petit poids de naissance correspond à moins de 2,5 kg.Autre préoccupation des chercheurs : l’augmentation du nombre d’enfants de petit poids entre 2010 et 2016. La faute à la dégradation de l’état de santé des mères et des conditions de vie ? En 2015, l’Inserm estimait qu’« en zone urbaine, 10 à 30 % des cas de petits poids de naissance pourraient être attribuables à cette pollution, peut être presque autant que le tabac ».
Age, obésité, consommation de tabac : les facteurs de risque restent importants
Certains facteurs de risques chez la femme enceinte, comme le surpoids et l’obésité, ont augmenté depuis 2003
L’Inserm se montre préoccupé par la dégradation de quatre indicateurs concernant la santé des futures mères et de leurs bébés :
l’âge des mères : plus de 50 % des décès maternels lors des accouchements concernent des femmes entre 30 et 39 ans, avec un risque particulièrement plus élevé à partir de 35 ans. Entre 2010 et 2012, 256 femmes sont décédées d’une cause liée à la grossesse, à l’accouchement ou à leurs suites, soit 85 par an, selon Santé publique France et l’Inserm. Le report des naissances, observé depuis dix ans, augmente donc les risques pour la mère et l’enfant ;
le surpoids et l’obésité : tous deux augmentent les risques de diabète gestationnel. L’obésité est par ailleurs l’un des facteurs de risque de mort maternelle, après l’âge, la nationalité (les femmes de nationalité subsaharienne ont le taux de mortalité maternelle le plus élevé, plus de deux fois supérieur à celui des femmes françaises) et la région d’accouchement, d’après l’Inserm en 2013 ;
la consommation de tabac : après une importante baisse, celle-ci s’est stabilisée entre 2010 et 2016, malgré la hausse des prix du tabac, les nombreuses campagnes d’information ou encore le triplement du forfait mis en place par l’Assurance maladie pour le remboursement des substituts nicotiniques chez la femme enceinte en septembre 2011 ;
la faible vaccination contre la grippe et la coqueluche : « Pour la coqueluche, peu de femmes connaissent leur statut vaccinal ou ont un statut conforme aux recommandations, et seulement 7 % des femmes enceintes ont été vaccinées contre la grippe saisonnière, alors qu’elles appartiennent à un groupe à risque élevé de complications. »
La baisse de l’allaitement en maternité
Les mères allaitent moins à la maternité depuis 2010
● Taux d’allaitement maternel exclusif en maternité : 60,30 %
Source : Inserm
Selon l’Inserm, entre 2010 et 2016, « l’allaitement exclusif a fortement diminué alors qu’une augmentation avait été observée en 1995 et 2010, après la mise en place d’une politique active en faveur de l’allaitement ». Cela peut s’expliquer par l’absence de personnel formé pour épauler les nouvelles mères : dans un cas sur trois (33 %), aucune personne référente pour l’aide à l’allaitement n’était présente dans le service. Un taux qui augmente jusqu’à 57 % dans les maternités effectuant moins de 500 accouchements par an.
Pour Jeanne Fresson, une praticienne hospitalière au département d’information médicale du CHRU de Nancy qui a participé à l’enquête, « les raisons de la diminution de la baisse de l’allaitement sont multifactorielles ». D’une part, la perception de l’allaitement par les femmes et par la société joue sur les pratiques : « la France n’a jamais été un pays très en pointe sur l’allaitement maternel, ni sur la durée de celui-ci ». D’autre part, l’apprentissage de l’allaitement nécessite un accompagnement professionnel, en particulier pour celles qui ont leur premier enfant. Un accompagnement qui nécessite de dédier du personnel, mais aussi du temps. Ce que les maternités ne font pas toujours. « Le temps dédié pour l’aide à l’allaitement n’est pas une activité “valorisée” financièrement pour l’hôpital. Le paradoxe, c’est que deux tiers des maternités qui ont des personnels qualifiés pour l’aide à l’allaitement, mais qui n’ont pas de temps pour exercer cette mission ».